LES MULTIPLES REGARDS

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par

Amalia Caputo

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Cerj Lalonde évolue avec aise de la peinture à la photographie, de l’art numérique aux installations multimédia, ce qui lui vaut d’avoir bâti un corpus d’œuvres extraordinairement riche et complexes depuis le début des années quatre-vingt. Son intention est d’établir une communication avec le spectateur à la fois directe et chaque fois différente.

On peut dire que Cerj Lalonde forme une équipe à lui tout seul. Il ne s’applique pas uniquement à développer son art, il s’emploie également à affiner ses propres conceptions de la culture contemporaine, des différents courants de pensée, des analyses qui s’y rattachent, mais plus encore, il apporte un pendant critique au système méritocratique régissant le milieu de l’art. Lalonde investi beaucoup de temps, d’énergie et de réflexion dans la conception de structures efficaces alliant expérimentation et nouvelles technologies au travers desquelles il peut traiter des problématiques qui l’intéressent, et plus particulièrement celles concernant le milieu de l’art.

Ses peintures, ses installations, ses photographies et ses pages web sont conçues pour être, chacune à leur manière, un passage en revue et une critique manifeste du système régissant le système l’art contemporain, puisqu’elles établissent des dialogues parallèles entre l’artiste, le public et les valeurs curatoriales.

 

Cerj Lalonde le Peintre

Cerj Lalonde adopte dans sa peinture une approche conceptuelle, pour réaffirmer avec une insistance absolument palpable la validité de la peinture comme pratique en soi. La palette de son langage pictural abstrait s’étend d’œuvres à teneur lyrique, jusqu’à de nombreuses autres créations offrant des perspectives très personnelles sur des chefs d’œuvres marquants de l’histoire de l’art, véritables témoignages de ses propres réflexions portées sur l’abstraction géométrique, exprimée entre autre dans la série des carrés noirs de Malevich, ou encore au travers de l’étude de la couleur chez Albers.

Cerj Lalonde est un artiste multidimensionnel. Ses années d’expériences en tant que peintre et sa soif de connaissance relative au milieu de l’art et au domaine critique l’ont aidé à devenir un artiste délibérément érudit. D’un point de vue formel, ses techniques embrassent le dessin, l’impression, mais surtout la peinture acrylique dont il exploite le potentiel au travers d’une palette riche en contraste. Bien plus qu’un banal formalisme, le travail de Cerj Lalonde affiche une forte prise de position à propos de la notion de Peinture et de la manière dont il approche l’abstraction via un point de vue conceptuel. Ses peintures sont des hommages à la puissance et au sens portés par la couleur et la texture, elles célèbrent le rôle essentiel du contraste et de l’impétuosité, elles honorent les millions de solutions possibles présentées par la toile blanche. Je perçois également dans son travail, une interprétation psychanalytique de l’art, ainsi qu’un rapprochement, curieusement involontaire, de la philosophie orientale qui colore son corpus d’œuvres multidimensionnelles.

Le carré impose sa présence dans un grand nombre de ses toiles et apporte un équilibre et une unité à l’âme de chacune de ses œuvres. Cerj Lalonde est particulièrement intéressé par le potentiel que la peinture peut offrir en tant que médium. « Ce que la peinture, et seulement la peinture peut offrir ». De tous les arts, la peinture est peut être le langage artistique le plus intime et personnel. Elle peut, en bout de ligne, toucher le spectateur sur les murs d’une galerie, dans un musée ou bien encore dans une salle d’exposition.

Il s’écoule toujours un lapse de temps entre le moment où l’artiste fini son œuvre, et le moment où cette dernière se trouve exposée. Cet espace temporel est silence. On peut dire que le délai écoulé entre le premier coup de pinceau sur la toile et la sortie du studio à déclenché chez Cerj Lalonde une réflexion quant à la recherche de nouvelles stratégies d’approche du spectateur et du critique, qui visent à défier le monde de l’art dans son système existant.

Nouveaux medias et nouvelles technologies

Dans son corpus d’œuvres liées à l’Internet, l’insertion de l’utilisation du langage constitue la première caractéristique notable lorsque le cri silencieux, poussé par sa peinture, laisse place aux mots envahissant l’écran. On peut alors sentir un besoin urgent de communiquer. Cerj Lalonde s’adresse à tout le monde et à personne, et établi un dialogue certain/incertain entre lui et l’anonyme spectateur/ internaute/ curieux qui le lis.

Cerj Lalonde a produit de nombreux site web (ex.: www.myartbaselmiami.com) Grâce à ce médium, il s’est approprié un espace physique/ non physique afin d’y exprimer ses réflexions sur des notions telles que la vue (en tant qu’acte) et la perception, mais aussi sur le phénomène d’intoxication de la perception causé par l’observation, la vision, le regard cognitif et la subjectivité des points de vue. Un autre aspect intéressant est l’incorporation de sa propre image d’artiste qu’il conjugue de différentes façons. Par exemple dans son SELF PORTRAIT AS A FAMOUS ARTIST, il se présente paré de tous les attributs archétypiques rattachés à la vision romantique communément associée aux artistes.  Cerj Lalonde habille ses images de toute son ironie et de son sarcasme par le biais de coups de pinceaux virtuels livrés à l’écran sur ses sites web. Une autre image récurrente dans son œuvre est celle du visage doux d’une très jeune femme qui regarde le spectateur avec douceur et nostalgie. De même que les sites web sont constitués de strates, les œuvres de Cerj Lalonde sont composées de couches offrant des niveaux de lectures et de réflexion aux impacts différents, et ce, par le biais de l’apparition d’une multitude d’images oscillant entre des peintures de son corpus, des installations, des portraits ou du texte.

Son intérêt se porte sur ce qui défini l’art, sur les acteurs qui valident le statut d’œuvre d’art, ainsi que sur le très puissant rapport de dépendance exercé par la critique et les médias sur le succès d’un artiste. Cerj Lalonde pointe du doigt ces problèmes qu’il exprime d’un cri aussi fort que silencieux. Des expressions telles Dominance of Curatorial Ideology, Global Mono Cultural Art Discourse ou Hegemony of the Global Curatorial Class, ne sont que quelques uns des  titres servant de cadre à son discours visuel présenté sur le Web.

Dans ses installations et ses performances telles THE NO SHOW, et WORKING TO BECOME RICH AND FAMOUS SO YOU CAN LOVE ME FOREVER, Cerj Lalonde traite de la notion de soi, d’identité, du statut de l’artiste comme acteur social, de la critique sévère du système régissant l’art contemporain et la société dans son ensemble. Il met en doute le paradigme conventionnel de l’artiste en questionnant la validité et l’idéologie de l’establishment curatorial, les méthodes marketing et les problèmes d’identité.

Sur ses pages web, Cerj Lalonde, le peintre anonyme dans son studio, se métamorphose en un personae plus public. Son regard se porte sur le spectateur, sa bouche ouverte hurle et ne cesse de questionner l’internaute, parfois de manière extra-diégétique et parfois au travers de l’hypothétique voix, intérieure à la conscience du visiteur.

Dans l’installation photographique SEEING, qui peut être considérée comme une pierre angulaire de son œuvre, il présente une pièce sombre dans laquelle des yeux de tailles diverses regardent le spectateur. Un aspect intéressant du travail de Cerj Lalonde est cette présence d’une réflexion perpétuelle qui ne vise pas seulement à exposer l’acte même d’observation, mais, plus intéressant encore, qui dévoile aussi le subconscient du visiteur. Au travers de ses installations et de ses œuvres digitales, il inverse son rôle d’artiste et établi un dialogue avec l’inconscient du spectateur. Du très anonyme Internet, il parle directement au subconscient des visiteurs en utilisant des expressions telles : « BONJOUR ! OU ES TU? », Ou encore « J’AIMERAI FAIRE TA CONNAISSANCE ». Cerj Lalonde suggère un échange chaleureux et intime à un spectateur anonyme. Il crie son besoin d’attention, pose des questions, et exige, de la part des gens de l’autre coté de l’ordinateur, des réponses silencieuses aux micro-réflexions déclenchées. Il illustre ainsi la notion de multiplicité du moi. Mais par-dessus tout, l’artiste démontre que la communication en tant qu’art est toujours subjective.

Enfin et surtout, il faut brièvement reconnaitre la présence de l’œuvre de Cerj Lalonde dans les lieux publics de même que dans les plus importantes rues des quartiers des arts de Miami, principalement à Wynwood et dans le Design District. Cerj Lalonde s’est approprié la devanture des galeries, les trottoirs et même des murs avec son graffiti ://eye_luv-you:)), son installation d’yeux WHO IS LOOKING AT WHO et le slogan FREE.

Ses interventions dans la rue sont des tentatives courageuses de réveiller la conscience des passants et de les plonger dans une réflexion passagère. Cette stratégie l’amène à opérer une interpénétration entre la condition humaine et la création humaine, les faisant ensuite interagir au sein d’un discours logique. Les êtres humains créent l’art, les êtres humains voient l’art, par conséquent l’art nous voit et l’art est humain. Pourquoi fait-il cela ? A qui s’adresse t-il ? La réponse probable est qu’il s’adresse à nous tous ainsi qu’à lui-même. Cerj Lalonde s’est décidément approprié une page immense, qui historiquement isolait l’artiste du spectateur. Le profond silence de sa peinture est aussi fort que la puissance dégagée par ses œuvres digitales ou par ses interventions dans des espaces publics.

Il serait injuste de séparer toutes ces multiples facettes, inhérentes à l’artiste, et d’en parler comme s’il s’agissait de différentes personnes. Le corpus d’œuvres de Cerj Lalonde est uni et lié par un ensemble d’éléments formels présents quelque soit le médium utilisé. Le carré, par exemple, est une image importante, tel est également le cas de la présence contrastante d’un œil, que l’on retrouve dans ses peintures, dans ses installations, dans ses graphismes et au travers de ses pages web. L’utilisation récurrente de certains éléments formels permet à Cerj Lalonde de se bâtir un langage pictural très personnel, mais aussi d’injecter une signification additionnelle à chacune de ses créations.

L’artiste est intéressé par le statut de spectateur et par les méthodes psychanalytiques permettant de communiquer un message à l’inconscient de chacun, que ce soit au travers de la peinture ou directement au travers de phrases qu’il lance sur ses pages web. Attends t-il une réaction de notre part ? Est-il en colère ? S’adresse t-il à nous ? Me regarde t-il? S’adresse t-il réellement à moi ? Peut-il me voir? Voilà quelques questions qui s’imposent à nous une fois que l’on connaît son travail.

Comme mentionné précédemment, Cerj Lalonde pointe du doigt le silence et l’introspection. De plus son travail renferme un grande variété de formes et de médiums qui s’articulent autour d’une très sérieuse et puissante recherche sur les enjeux inhérents au domaine de l’art, à sa critique, à sa circulation, à sa diffusion, à la place qu’on lui accorde dans la société, de même qu’au silence auquel on le réduit non seulement dans le milieu de l’art contemporain mais aussi, par extension, dans la société actuelle. Cerj Lalonde veut faire bouger les choses en critiquant l’aphasie contemporaine. A contre courant, il souhaite avec détermination qu’on le comprenne, qu’on le regarde et qu’on l’entende.

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A propos de l’auteur.

Amalia Caputo contribue aux publications: Extracamara MagazineCaracas et Arte Al Dia International, Miami.  Elle est née à Caracas au Vénézuela. Elle est détentrice d’un Bac en Art et en Histoire de l’art obtenus à l’Université Centrale du Vénézuela, où elle gradua avec mention et honneurs en 1998. C’est en 1995 qu’elle recevra sa Maîtrise d’Arts en Photographie à l’université de New York et au centre international de photographie. Ses œuvres sont exposées dans les musées et galeries de Caracas, Barcelone, Mexico City, New York et Miami. Elle vie et travaille à Miami en Floride.

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